Voilà j’ai 10 ans, toutes mes dents, m’faudrait un appareil maintenant,
L’ortho il a piqué sa crise, veut faire chauffer la carte sis,
Quand j’vois mes parents dans l’divan trop souvent, je m’rend compte qu’il est
déjà loin le temps des jeux et des câlins,
L’adolescence arrive derrière, premiers doutes et premières colères,
Ça hurle un peu dans le salon, moi dans ma chambre je monte le son d’un
Brassens piqué à mon frère, je m’dis qu’il avait bien raison que l’temps ne fait
rien à l’affaire, que quand on est con, on est con.
On a pas tous les jours 20 ans, il est moyen ce slogan,
Enfin au moins j’ai les dents bien droites après 10 ans de tortures adroites,
Alors faut choisir des études, vu ma rhéto ça risque d’être rude,
Mais ils ont fini par me l’donner, depuis j’ai plus jamais triché,
Et là je me dis qu’les secondaires, ça porte vraiment très mal son nom,
Toutes les premières fois s’y opèrent dont on souviendra pour de bon,
J’écoute Renaud avec mon frère, je m’dis qu’il était visionnaire quand il
répondait à Arthur c’est à nous d’écrire nos futurs.
Et me voilà petit trentenaire, enfants, crédit hypothécaire,
D’une maison pleine de travaux, moi qui m’voyait dans des châteaux,
Comme tous mes potes j’ai pris du bide, des cheveux blancs et quelques rides,
Je fais du sport, enfin j’essaie, après 10 minutes ça s’enraille,
J’ai plus un bal le 15 du mois, mais je crâne devant mes parents,
Eux qui voulaient qu’sois avocat, médecin, dentiste ou président,
Moi j’voulais faire comme Balavoine, être chanteur pour mes copains et faire
des tubes qui tournent bien mais j’ai même pas passé la douane.
Et puis ma crise d’la quarantaine c’est à peine si j’ose en parler,
Ajouter une crise pas la peine, le monde en connait bien assez,
Quand on entend kalachnikov, Charlie Hebdo et attentats,
Quand les cocktails molotovs peu à peu s’rapprochent de chez toi,
Les premières limites se font voir, on fuit plus souvent nos miroirs,
On prend les mêmes résolutions qu’l’an dernier à la même saison,
J’pense au grand Jacques aux Marquises, qui dit que l’temps s’immobilise,
Ici il file comme un voleur, je n’ose même plus regarder l’heure.
Et j’ai soufflé mes 50 ans, la claque mes gamins étaient grands,
La baby-sitter viendrait plus, l’autre jour on n’l’a même pas reconnue,
La santé s’en mêle un peu trop, on entend d’ces trucs au boulot,
Un tel sa soeur, un tel son père puis on s’habitue au cimetière,
Une chanson pour tout ceux de nos âges entre nostalgie et partage,
On n’a rien perdu, on a pris, on s’en souviendra dans notre lit,
Comme des chansons que nos mères nous fredonnaient ou que nos pères
sifflaient sur la route des vacances,
Ces notes ont l’odeur de l’enfance.
À part la blague sexagénaire qui m’a jamais trop fait marré,
J’ai la tune et le temps d’en faire mais plus d’rêve à réaliser,
Quand le corps, l’esprit et tout l’reste et puis ce parfum qui empeste,
Rappellera à tout visiteur les derniers coups du pacemaker.
Demain on se souviendra d’nous,
Pour tout ce qui précède tout c’qui bout,
Et en premier sur notre liste, cette putain d’visite chez l’dentiste,
Je monterai l’son une dernière fois et j’espère qu’une voix me dira, Comme la
môme le chantait si bien « je ne regrette rien ».
Bon c’est clair j’ai un peu zappé,
Les langes et les premières dents d’lait,
Suis sûr que j’ai beaucoup dormi,
Je connaissais par coeur mon lit,
Appeler ça l’école maternelle,
Et laisser ma mère c’est cruel,
Et les premiers jours de rentrée,
J’sais plus qui chialait en premier,
Et puis bien sûr apprendre à lire,
Les premières fois où on fait rire,
Tous ces potes qu’on n’oubliera plus,
Ces bobos sur nos genoux pointus,
Ce sentiment inexorable,
Qu’on trimbale dans nos cartables,
C’est pour comprendre que le bonheur,
C’est de n’jamais regarder l’heure.